Election présidentielle américaine : réaction d'André Laignel

Réveil glacé. Je concède volontiers la stupeur qui m'a saisi ce matin en découvrant le résultat des élections américaines. Les États-Unis sont une grande Nation et j'apprécie passer du temps dans ce pays que l'Histoire a si souvent lié au nôtre. Nous le savons depuis longtemps ; l'Amérique est capable du meilleur comme du pire. J'ai bien l'impression qu'aujourd'hui, elle ne nous présente pas son meilleur visage.

 

Passé le premier effroi, des enseignements s'imposent. Le premier, qui constitue à mes yeux le plus important, est de rappeler qu'il s'agit d'un choix démocratique. Un peuple libre s'est exprimé et la première responsabilité est de le reconnaître. J'ai entendu depuis ce matin monter la petite musique sur l'irresponsabilité des votants, qui seraient au choix des ignorants ou des inconscients. C'est un raisonnement qui mène sur un une pente particulièrement dangereuse et je mets en garde ceux qui seraient tentés de s'engager dans cette voie. On peut être en complet désaccord avec M. Trump - ce qui est mon cas-, on peut considérer que son programme est néfaste pour les Américains et la stabilité des relations internationales. Mais, de grâce, ne méprisons pas le choix souverain d'un peuple. Ce faisant, nous alimenterions justement ce que nous croyons combattre : les discours populistes opposant une élite arrogante à un peuple victimisé. L'Histoire est pourtant riche d'exemples qui conduisent à nous méfier de ces visions trop simplistes et démagogiques.

 

Ecartant tout discours condescendant, il nous faut néanmoins nous pencher sans naïveté sur les causes qui ont amené ce résultat. Je ne prétends pas les énumérer ici ; il est trop tôt. A ce stade, la prudence impose seulement de constater que l'incertitude règne.

Pour autant, je ne peux m'empêcher de voir dans l'issue de ce scrutin un énième avertissement pour les partis politiques dits traditionnels. Donald Trump a bousculé tout l'establishment du parti républicain, qui ne voulait pas de lui. Pourtant il a su déjouer les pronostics en s'adressant directement à une base qui ne se sentait plus représentée. Ce n'est pas sans rappeler ce qu'il s'est passé il y a quelques mois en Grande-Bretagne où le Brexit l'a emporté, prenant de court la très grande majorité des représentants politiques britanniques. Plus loin de nous déjà, je ne peux m'empêcher  de penser à ce que nous avons connu en France en 2005 à l'occasion du débat sur le traité pour une Constitution européenne. Au-delà du choix personnel qui était à l'époque le mien, aux côtés des partisans du Non, je me souviens surtout du décalage profond entre les partis politiques et les électeurs qu'avait révélé le scrutin. Je pourrais accumuler les exemples de ce type. Il en ressort à chaque fois que, quand les clivages politiques s'émoussent au profit d'une logique gestionnaire, quand les revendications des citoyens ne trouvent pas de débouchés dans le cadre du débat politique, bref quand les représentants du peuple se coupe de lui, la colère finit toujours par s'exprimer de façon dérivée et imprévisible.  Les signaux d'alerte de ce type semblent désormais s'accélérer. Prenons-en la mesure avant de nous offrir une nouvelle gueule de bois.

 

C'est donc avec un esprit lucide et vigilant, nourri de l'alerte de la nuit dernière, que je veux aborder les prochains mois. Ces prochains mois qui nous amèneront vers des échéances qui s'avèrent tous les jours plus cruciales pour l'avenir de notre pays. Si nous ne voulons pas à notre tour nous réveiller sonnés par une funeste « surprise », changeons de focale pour remettre dans notre champs de vision des pans entiers de la population que nous avions perdu de vue. Plutôt que de traiter par le mépris ce que nous ne comprenons pas, réapprenons à parler ensemble la langue de l'intérêt général.  En somme, il ne s'agit rien de moins que de retrouver le sens de la démocratie représentative.

 

Le 9 novembre 2016

 

Photo de la statue de la Liberté : Stéphanie Chapuis