"La Laïcité, c'est la Fraternité en actes"

Dans les Colonnes du numéro spécial de "Communes de France" de juin 2015 consacré à la Laïcité, André Laignel dans cette contribution rappelle le sens de son engagement pour pour une Laïcité socle de la liberté de conscience, de l'égalité des droits  et de l'intérêt général.

 

Alors qu’on la disait dépassée, ringarde et que ses défenseurs étaient au mieux des rêveurs attardés, voire des sectaires d’un autre âge, la laïcité est aujourd’hui, sous le poids des évènements, à nouveau dans le discours et les pensées de l’immense majorité des Citoyens.

Il est dommage que, pour beaucoup, il ait fallu le drame des attentats pour découvrir -ou redécouvrir- que hors de la laïcité il n’y a plus de vivre ensemble possible, plus de liberté de conscience et d’expression sans tension ou violence, plus d’égalité des droits, plus de primat de l’intérêt général, bref, plus de République.

C’est en effet pour mieux promouvoir ce qui fonde toute société humaine: instruction, culture, justice, santé, famille… que la République laïque, parce que sa vocation est universelle, se refuse à tout privilège public tant en faveur des religions que de   l’athéisme ou de l’agnosticisme, tous relevant de la sphère privée et des libertés qui lui sont attachées.

Laïcité et service public sont indissociables, c’est pourquoi les Maires et élus municipaux, porteurs des services de proximité et de la démocratie locale, sont en première ligne pour veiller à une mise en œuvre de la laïcité au quotidien, là ou par petites touches, petits renoncements, elle peut être oubliée, affaiblie, voire bafouée.  C’est vrai à l’école, dans la culture, le sport, la santé, l’action sociale…

Ceux qui oublient ce lien essentiel entre la défense des services publics et la laïcité se condamnent à une société pensée comme addition des particularismes, puzzle des communautarismes ; à une société de plus en plus inégalitaire et éparpillée entre groupes qui, forcément, sont au mieux rivaux, au pire ennemis.

Les grands services publics, et au premier rang l’école laïque, donnent vie à l’intérêt général et incarnent l’universalisme laïque, si essentiel dans une société guettée par les replis communautaristes. Ces services conçus pour le bien de tous et de chacun, méritent une attention et un soutien sans faille de la part des pouvoirs publics. L’école laïque accueillant sans discrimination les croyants et les athées, les enfants de toutes origines, répond au beau mot de République, qui veut dire chose commune à tous. Mais, reconnaissons-le, le bien commun est aujourd’hui trop souvent oublié et la laïcité ignorée.

La loi de 2004, interdisant de porter ostensiblement des signes religieux distinctifs à l’école, a eu le mérite de fixer clairement des barrières et de rappeler le principe de neutralité qui fonde, dans de nombreux domaines, la mise en œuvre de la laïcité.

En garantissant la liberté des consciences, la laïcité permet l’émancipation de la jeunesse, notamment des jeunes filles et des femmes, pour certaines enfermées dans des modèles sexistes. L’école laïque se doit d’accompagner chaque enfant dans cette part d’universalité qui en fait un sujet porteur de droits, sans distinction de genre, d’orientation sexuelle, de culture d’origine, de conviction spirituelle. Dans une France tentée par les déchirements, elle doit rester un lieu soustrait aux groupes de pression de toute nature : religieux, idéologiques ou économiques.

Quand on n’ose plus contester la laïcité, alors la tentation est grande de lui accoler  des qualificatifs. On la voudrait « ouverte », « compréhensive », de « combat », « d’inclusion » pour d’autres… Ces tentatives, sous un fallacieux prétexte de précision, quand ce n’est de modernité, n’auraient pour résultat que l’affadissement, la confusion.

La laïcité, est « une » ; elle est un idéal universaliste d’organisation de la Cité et à ce titre porteuse de valeurs fortes : solidarité, fraternité, souci du bien commun ; elle a pour vocation de réunir tous les êtres humains et non certains d’entre eux. Elle postule que la croyance religieuse n’a pas à être mieux traitée que la conviction athée. Et réciproquement.

C’est là tout le sens et la portée de la loi de 1905 de séparation de l’Etat et des églises. Disons-le avec force : il ne saurait être question de toucher à la loi de 1905, alors qu’il convient, au contraire, de la réaffirmer dans son actualité, sa modernité et de la faire appliquer. La loi de séparation des églises et de l’Etat est l’essence même de l’idéal laïque qui est à la fois une valeur et une règle.

Les maires de France et l’ensemble des élus locaux, ont donc un rôle décisif à jouer pour veiller au respect de la laïcité dans la République. Au lendemain des attentats de janvier dernier, l’Association des Maires de France s’est mobilisée afin que les élus fassent remonter les difficultés rencontrées, les expériences locales et les obstacles que rencontrent les Maires au quotidien dans leur recherche de cette harmonie qui conditionne le vivre ensemble.

C’est tout le sens de la création du groupe de travail « Laïcité » de l’Association des Maires de France -dont nous avions décidé le principe dès le mois de novembre- qui est mandaté pour formuler des propositions concrètes et opérationnelles afin d’aider au quotidien les décideurs locaux.

Les thématiques sont très nombreuses : repas servis dans les cantines scolaires qui devraient plus relever des nutritionnistes que des religions ; refus des ségrégations, qu’elles soient dans le temps ou dans l’espace, dans certains équipements comme les piscines ou les gymnases ; neutralité des agents territoriaux ; gestion des cimetières… Telle est la réalité des questions auxquelles les maires ont la lourde tâche de répondre.

Disons-le clairement, il y a eu trop de petits accommodements, trop de laisser aller avec certaines pratiques. Il faut redonner de la force à la mise en œuvre de la laïcité. Il est temps de refuser les petits reculs qui creusent le lit du communautarisme.

Je souhaite que ce travail débouche sur la rédaction d’un guide réaffirmant avec flamme les principes qui fondent la République, mais aussi les bonnes pratiques qui pourrait trouver, si nécessaire, une clarification réglementaire ou une déclinaison législative.

L’Education (cantines scolaires, accompagnement scolaires, activités périscolaires, recrutement des animateurs…), la Jeunesse (petite enfance, financement des activités pour les jeunes en Centre de Loisirs, partenariat avec les mouvements d’Education Populaire, recrutement des personnels…), le financement des associations, la neutralité des agents territoriaux et des bâtiments publics, l’enjeu de la mixité dans les activités culturelles et sportives, les lieux de culte et de sépulture comme les cérémonies républicaines (mariage, funérailles, acquisition de la nationalité…) sont au cœur des questions à résoudre.

Confrontée au quotidien, la laïcité par mille coups d’épingles, perd de sa substance ; on finit parfois par oublier son importance, son essence qui est de porter trois exigences indissociables : la liberté de conscience, l’égalité des droits et l’intérêt général.

La laïcité ne permet le vivre ensemble que si elle est comprise, c’est pourquoi il nous faut, inlassablement, l’expliquer aux plus jeunes et la rappeler aux plus anciens. C’est là un défi pour les Républicains : celui de la pédagogie de la laïcité, de son explication concrète et donc des outils et des formations à mettre à disposition du plus grand nombre.

La laïcité est un combat exigeant, de chaque instant. Il est grand temps de rappeler cette fraternité en actes. Fraternité qui advient dans le partage du meilleur de l’être humain : la liberté de conscience éclairée qui est capable de juger et fonde la citoyenneté sur une lucidité agissante.

 

André LAIGNEL

Maire d’Issoudun

Premier vice-président délégué de l’AMF

Ancien Ministre