Interview pour Maire Info

Pour André Laignel : « La contractualisation imposée par le gouvernement est une remise en cause des principes fondamentaux de la décentralisation »

Le premier vice-président de l’AMF et président du Comité des finances locales revient pour Maire info en date du 12 avril 2018 sur les raisons qui ont conduit les trois principales associations d’élus (AMF, ADF, Régions de France) à alerter sur les dangers menaçant la décentralisation. Le maire d’Issoudun réitère l’opposition de l’AMF aux contrats financiers qui signifient selon lui le retour à une tutelle préfectorale sur les collectivités. André Laignel évoque les propositions de l’AMF sur le volet financier de la révision constitutionnelle et les chantiers engagés par le CFL.


L’AMF, l’ADF et Régions de France ont alerté, le 10 avril, sur le risque de recentralisation en cours. Comment en est-on arrivé là ?
Manifestement, le climat entre l’Etat et les collectivités locales se dégrade. Ce que j’avais dit dès le Congrès des maires se vérifie : la contractualisation imposée par le gouvernement aux collectivités n’est rien d’autre qu’une remise en cause des principes fondamentaux de la décentralisation : libertés locales, autonomie financière, libre administration. La décentralisation consistait à rapprocher le pouvoir du citoyen et à libérer les collectivités des tutelles de l’administration centrale et déconcentrée. Les contrats financiers que l’Etat veut imposer aux collectivités aboutissent à une remise en place de la tutelle préfectorale a priori : les élus locaux devront soumettre leur budget au représentant de l’Etat avant même son adoption. Dans une République décentralisée, c’est intolérable !

Conseillez-vous aux élus de ne pas signer ces contrats ?
L’AMF ne donne jamais de consignes aux maires et aux présidents d’intercommunalité. Elle a fait part en revanche de son opposition au dispositif initial de contractualisation et formulé des propositions pour aboutir à une contractualisation équilibrée avec l’Etat. A titre personnel, si la commune dont je suis maire figurait dans la liste des collectivités concernées, je ne signerais pas le contrat car je serai en totale contradiction avec mes convictions décentralisatrices.

Y a-t-il une situation de rupture avec l’Etat ?
Il n’y a jamais de rupture complète car l’AMF est toujours dans un état d’esprit constructif et à la recherche de compromis. Mais force est de constater actuellement un extraordinaire fossé entre le gouvernement et les élus locaux, qui ne cesse de se creuser. Je note particulièrement une volonté de l’Etat de marginaliser les communes, par exemple en dessaisissant les maires de leurs compétences dans le domaine du logement à travers le projet de loi Elan, comme s’il voulait vider les communes de leur substance. Financièrement, les collectivités subissent une double peine : d’une part, la remise en cause de la décentralisation via les contrats léonins que l’Etat impose pour encadrer la dépense locale. Et, d’autre part, la baisse de leurs dotations et des moyens dévolus aux territoires.

Le gouvernement s’est pourtant engagé à ce que les dotations aux collectivités ne baissent pas en 2018…
C’est une supercherie. Plus de 22 000 communes constatent une baisse de leur dotation forfaitaire cette année contrairement à l’engagement d’une stabilité martelé par le chef de l’Etat. A cela s’ajoutent les baisses de crédits aux territoires que j’ai chiffrées à 2,5 milliards d’euros en 2018 - avec par exemple une ponction de 500 millions d’euros sur les agences de l’eau – et une ponction de 1,5 milliard d’euros sur le logement social.

L’investissement local risque-t-il de baisser ?
L’Observatoire des finances et de la gestion publique locale (OFGL) que je préside a noté récemment une reprise apparente de 6,5 % des dépenses d’équipements des collectivités pour l’année 2017. Cette tendance devrait se maintenir en 2018 et 2019 car elle correspond à un cycle municipal, les élus concrétisant leurs engagements de campagne grâce à une épargne de précaution. Mais si on y regarde de plus près, comme je l'ai fait avec l'OFGL, on se rend compte qu'en euros constants et à population comparable, le niveau d'investissement est fortement inférieur à la moyenne des 20 dernières années. L'investissement est structurellement bas et je suis très inquiet sur sa capacité à continuer d'entraîner l'économie en 2020 et 2021.

Le gouvernement a présenté son projet de révision constitutionnelle. Quel devrait être le chapitre financier de cette révision ?
L’autonomie financière des collectivités figure d’ores et déjà dans la Constitution. Mais la loi organique de 2004 l’a vidée de son sens. Il faut donc compléter la Constitution et réécrire la loi. Compléter la Constitution en y inscrivant les principes d’autonomie financière « et fiscale » des collectivités. Les seules dotations de l’Etat ne sauraient en effet garantir l’autonomie financière des collectivités ! Il faut aussi réécrire l’article 3 de la loi organique afin que seules les impositions de toute nature dont la loi autorise les collectivités à fixer l’assiette, le taux ou le tarif constituent leurs ressources propres. Seule cette autonomie financière et fiscale garantira le respect d’un autre principe constitutionnel : la libre administration des collectivités.

Quels sont les principaux chantiers du Comité des finances locales ?
Je note tout d’abord que nos propositions (1) destinées à remplacer dans l’urgence la taxe d’habitation que le chef de l’Etat a voulu supprimer - ce qui génère une perte de recettes de 26 milliards d’euros pour les collectivités ! - font consensus à l’Assemblée nationale et au Sénat. Nous aurions préféré que l’Etat modernise cet impôt et le rende plus juste notamment en actualisant les valeurs locatives. Ce chantier demeure prioritaire car les taxes foncières, la cotisation foncière des entreprises (CFE) et la taxe d’enlèvement des ordures ménagères reposent aujourd’hui sur des valeurs obsolètes. Le CFL travaillera également sur la réforme des dotations et notamment de la dotation d’intercommunalité pour la rendre juste et effective. Nous allons aussi faire des propositions sur la fiscalité des collectivités d’outre-mer. Il reste le sujet de la réforme de la DGF. J’ai demandé à l’Observatoire des finances et de la gestion publique locale (OFGL) de retravailler la définition des charges de centralité qui est essentielle pour le succès de cette réforme.

Propos recueillis par Xavier Brivet